Prévoyance des cadres : attention aux tentations					d’optimisation
Doctrine

Prévoyance des cadres : attention aux tentations d’optimisation

Par une décision du 6 février 2020 (18/20112), la cour d’appel de Paris s’est prononcée, pour la première fois, sur la problématique de la prise en compte des cotisation patronale frais de santé pour satisfaire à l’obligation conventionnelle du 1,50 % tranche 1

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Par une décision du 6 février 2020 (18/20112), la cour d’appel de Paris s’est prononcée, pour la première fois, sur la problématique de la prise en compte des cotisation patronale frais de santé pour satisfaire à l’obligation conventionnelle du 1,50 % tranche 1

Des entreprises relevant de la CCN (convention collective nationale) des bureaux d’études techniques cotisaient pour leurs cadres à un taux de 1 % TA en prévoyance «lourde» et 0,8 % TA en frais de santé. À l’occasion d’une opération de rapprochement entre structures, un syndicat critiquait la prise en compte des contributions patronales au régime santé pour satisfaire à l’obligation conventionnelle du 1,50% tranche A. Le 6 février, la cour d’appel de Paris validait ce montage pour la première fois

La problématique juridique

La CCN du 14 mars 1947 oblige tout employeur à consacrer 1,50 % de la rémunération des cadres plafonnée à la tranche A à un régime de prévoyance couvrant prioritairement le décès. L’utilisation du vocable «par priorité » dans le texte conventionnel a conduit les entreprises à s’interroger sur la proportion des 1,50 % devant réellement être consacrée au poste décès. Dans une lettre du 26 août 1994, l’Agirc a répondu que « plus de la moitié de la cotisation obligatoire de 1,50 % doit être consacrée à la couverture du risque décès, soit une cotisation d’au moins 0,76 % de la tranche A ».

En pratique, le reliquat de 0,74% est très souvent destiné à la souscription de capitaux et rente décès supplémentaires et d’une garantie arrêt de travail. Toutefois, certains employeurs pouvaient être séduits par l’opportunité de l’affecter à des garanties santé, afin d’optimiser leur trésorerie sociale. Une entreprise assumant son obligation du 1,50 % TA en associant prévoyance lourde et frais de santé méconnaît-elle son obligation?

Peut-être que oui, peut-être que non...

Littéralement, l’article 7 de la convention Agirc et son successeur l’ANI (accord national interprofessionnel) du 17 novembre 2017 n’interdisent pas l’affectation à la couverture santé : ces textes paritaires visent les « avantages en matière de prévoyance », sans définir précisément la notion. Sur le plan juridique, le vocable de prévoyance pourrait être perçu comme un ternie générique désignant tant l’incapacité de travail, l’invalidité, le décès ou l’inaptitude, que les frais de santé.

En effet, il n’existe à ce jour aucune définition normée et unique de la prévoyance. À titre d’illustration, l’alinéa 4 de l’ar ticle D. 242-1 du code de la Sécu rité sociale définit la limite d’exonération de charges sociales des « contributions des employeurs au financement des prestations complémentaires de prévoyance », embarquant tant les frais de santé que la prévoyance lourde. L’acception juridique se heurte donc parfois au langage « métier » des acteurs de l’assurance.

Ainsi, certaines entreprises pouvaient être tentées d’associer les frais de santé au risque lourd pour atteindre le taux de 1,50%, et ce d’autant plus que rien n’interdit d’assumer l’obligation en valeur absolue.

En effet, les textes paritaires contraignent l’entreprise à consacrer un budget égal à 1,50% du salaire plafonné et non de souscrire un contrat au taux contractuel de 1,50%.

Cependant, sous l’impulsion de la généralisation santé amorcée par l’ANI du 11 janvier 2013 puis adoubée par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, l’argument lexical devait être nuancé : dans la mesure où tout employeur est tenu de financer au moins 50 % de la couverture frais de santé obligatoire des salariés, le juriste prudent en déduisait une volonté tant paritaire que légale de dissocier les financements patronaux des deux grands risques, et ce afin de ne pas créer une économie d’opportunité pour l’employeur. C’est ainsi que les montages consistant à répondre au 1,50% TA en tenant compte de la santé étaient largement déconseillés, sans pour autant être certain de leur létalité. Mieux vaut prévenir que guérir.

Rappelons au passage que la violation du commandement conventionnel se résout par le versement d’une sanction forfaitaire égale à 3 Pass (123408 € en 2020). Cette somme d’argent, payée par l’entreprise sur ses propres deniers aux ayants droit du salarié décédé, est soumise à charges sociales ce qui alourdit d’autant l’effort patronal.

La santé, c’est de la prévoyance

Contre toute attente, les juges d’appel n’ont pas été sensibles aux arguments du syndicat, lequel soutenait que les frais de santé et le risque lourd étaient dissociés tant par le législateur de 2013, que par la CCN des bureaux d’études techniques.

La Cour s’est en effet reposée sur l’argument sémantique sus-évoqué : tant le texte de 1947 que l’ANI de 2017 qui le substitue « n’excluent pas les frais de santé des avantages de prévoyance financés par l’employeur, seule étant prévue une affectation prioritaire de sa cotisation à la couverture décès ». Les juges ont donc conclu : « Dès lors, pour vérifier si l’employeur respecte son obligation de cotiser en matière de prévoyance à hauteur de 1,50 % [TA/ Tl], il doit être tenu compte de la cotisation patronale versée pour le financement de la garantie frais de santé. »

Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Nous déconseillons aux entreprises de tirer parti de cette décision pour optimiser leur budget. Outre son impopularité, l’exercice d’une dispense d’adhésion au régime santé conduirait l’employeur à dépenser un montant inférieur au minimum requis. De surcroît, contrairement à la prévoyance lourde, les cotisations des contrats santé sont souvent calculées sur une assiette forfaitaire. L’entreprise devrait alors tout convertir afin de vérifier si en valeur absolue, et pour chaque individu, le cumul des financements patronaux santé et prévoyance atteint bien 1,50 % du salaire plafonné.

Et bien entendu elle ne devra pas omettre, quand l’expression tarifaire du contrat santé intègre un paramètre famille, d’isoler la fraction patronale consacrée à l’éventuelle couverture obligatoire des ayants droit. Cette gymnastique arithmétique l’exposerait potentiellement à une erreur de calcul.

De plus, sortir des sentiers balisés pourrait attirer l’attention sur d’autres nids à embrouilles qu’offre le 1,50% TA, comme le fait d’intégrer dans les garanties éligibles des prestations dont l’appartenance au domaine de la prévoyance complémentaire serait discutable.

Enfin, ne perdons pas de vue l’esprit du texte de 1947. À cette époque, la Sécurité sociale n’accordait qu’un capital décès égal à quatre mois de salaire. Les régimes privés d’avant-guerre octroyaient quant à eux une année complète d’indemnisation aux ayants droit des cadres. Cotiser à hauteur de 1,50 % permettait donc aux cadres de s’émanciper de l’assurance décès «bas de gamme» du régime obligatoire pour compenser une insatisfaction en matière de prévoyance lourde.

À notre sens, des impératifs de sécurité juridique suggèrent à l’entreprise une stricte appropriation de son obligation : souscrire un contrat d’assurance dont le taux contractuel de cotisation atteint au moins 1,50% TA/T1, affecté exclusivement au « risque lourd » sans tenir compte du «risque court», tout en organisant dans le régime une répartition des cotisations employeur/ salarié adéquate.

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